Sunday, November 20, 2011

L’arbre

Définir l’arbre, comme dirait l’écrivain italien Allessandro Barrico, c’est comme définir la bêtise : c’est presque impossible, et pourtant nous en connaissons tous d’excellents exemples. Un arbre est une créature à moitié invisible, et en cela extraordinaire et mystérieuse. Sa partie enterrée est toujours au moins aussi grande que sa partie visible, les racines se développant souvent plus que la frondaison. Les petits jujubiers de Libye, qui mesurent 2 mètres de haut, possèdent des racines verticales de quelques 60 mètres de long. Cela fait un arbre de 62 mètres ! Les racines jouent des rôles très variés, à commencer par la fonction mécanique d’assurer à l’arbre un ancrage pendant sa croissance. En effet, si le vent souffle, sa couronne représente un bras de levier d’une grande puissance, auquel les racines doivent résister. Souvent, dans nos régions tempérées, les racines se développent moins que les branches maîtresses, mais elles s’arriment à tous les points d’ancrage qu’elles rencontrent. Les racines en effet, à la manière de l’artiste Christo, enveloppent n’importe quoi, n’importe quel obstacle, le contournent, le pénètrent. Cette tendance à l’enveloppement reste mystérieuse. Les racines se montrent capables de soulever des maisons, percer des murs, fendre un trottoir. Ces organes sont doués d’une force irrésistible d’expansion qui leur vient de l’eau entrant dans la composition de leurs cellules, toutes très condensées lorsqu’elles sont encore jeunes. L’alimentation en eau, en oligo-éléments, voilà d’ailleurs une autre mission des racines. L’arbre ressemble à une mèche de lampe plantée dans la terre, parcourue par un flux permanent, qui évapore des tonnes d’eau en provenance du sol. Les racines produisent encore des molécules actives, qu’elles transforment, des régulateurs nécessaires au cycle de la croissance, et beaucoup d’autres substances encore. L’arbre est une créature très inventive sur le plan biochimique, comment ne pas l’être quand on vit immobile, sans pouvoir s’échapper.

Francis Hallé, Plaidoyer pour l'arbre

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