Saturday, July 28, 2012

De fréquentes disputes

Mon compagnon et moi avons de vives et fréquentes disputes à propos de l'argent. Son salaire est beaucoup plus élevé que le mien et pourtant, comme j'aime embellir la maison, je dépense plus que lui qui n'achètera que par nécessité. Il me reproche beaucoup, par exemple, l'achat de robes car au fond il souhaite que je garde mon argent pour notre couple alors que lui-même dépense beaucoup pour ses enfants nés d'un premier mariage. Je me sens flouée mais je refoule mon ressentiment tandis que mon compagnon peut faire des colères terribles s'il se croit lésé. Souvent, je cache mes achats, alors que c'est avec mon propre argent, l'argent de mon travail, que je me les suis payées. Bref, c'est un peu l'enfer et mes plaisirs de consommation sont entachés de culpabilité.

Nathalie A.

Friday, July 27, 2012

A tree in front of ANZ office

A tree in front of ANZ office at Parnell Rise

Cassé

Christine. — Quand j’ai reçu ma lettre de licenciement, je me suis dit que dans un sens, c’était pas plus mal. Je commençais à en avoir marre de l’électroménager avec l’ambiance chez Prodex qui devenait pénible et que c’était tant mieux pour les Hongrois s’ils devenaient Prodex et se mettaient à assembler à leur tour. Je te jure, quand j’ai reçu ma lettre, j’ai ressenti du soulagement.
Cathy. — Tu m’as déjà raconté la lettre.
Christine. — Après dix-huit ans d’assemblage, je pensais retrouver du travail sans difficulté. Prodex, c’est quand même pas n’importe quoi, ça dit quelque chose à tout le monde. Enfin surtout aux vieux restés fidèles à la marque depuis les années soixante parce que c’était made in France et que les appareils avaient la réputation de jamais tomber en panne, un peu comme les appareils allemands qui avaient la réputation d’être solides à l’époque. Aujourd’hui, les jeunes s’en foutent que ce soit made in France. Made in Hongrie aussi, ils s’en foutent. Ce qu’ils veulent, c’est des appareils avec des couleurs flashy et des formes tarabiscotées, c’est ça qu’ils veulent. Et que ce soit solide, ils ne voient pas non plus l’intérêt. C’est juste que ça fait vieux, l’argument de la solidité, quand on est jeune.
Cathy. — La solidité aussi, tu m’as déjà raconté.
Christine. — C’est bon pour les vieux d’avoir un appareil qui dure longtemps. Une Prodex. Une vieille Prodex qu’on branche et qui démarre au quart de tour. Dis donc, maman, tu l’as depuis combien de temps, ta cocotte ? Tu voudrais pas qu’on t’en achète une nouvelle pour ton anniversaire ? Pour tes 60 ans, tu voudrais pas d’une cocotte neuve ? Laisse, ma fille, j’en ai pas besoin d’une nouvelle, celle-là durera encore assez longtemps et tu sais pourquoi ? C’est une Prodex !
Cathy. — Voilà !
Christine. — Ça, c’est le côté renfermé des vieux que les jeunes supportent pas. Ils préfèrent acheter des appareils tous les deux ans pourvu qu’ils soient de couleur flashy, et comme ça coûte moins cher vu que c’est de moins bonne qualité tout le monde est content, surtout les Chinois puisque c’est leur marque de fabrique, les appareils de mauvaise qualité à des prix défiant toute concurrence. Mais maintenant que l’assemblage va se passer en Hongrie, ce sera sans doute moins cher et ils vont peut-être en profiter pour revoir la gamme des couleurs et des formes aussi, par la même occasion.
Cathy. — Tu voudrais pas changer de disque ?

Rémy De Vos

Working

Je reste sur place, sur une surface d’un mètre, un mètre cinquante toute la nuit. Le seul moment où on s’arrête, c’est quand la chaîne s’arrête. On fait à peu près trente-deux opérations par pièce, par voiture, quoi. Quarante-huit pièces à l’heure, huit heures par jour. Trente-deux fois quarante-huit fois huit. Calculez. C’est le nombre de fois que je pousse le bouton. Le bruit, c’est terrible. Si vous ouvrez la bouche vous risquez de prendre plein d’étincelles dedans. (Il montre ses bras.) Ça, c’est une brûlure, tout ça, c’est des brûlures. On peut pas lutter avec le bruit. Vous gueulez et en même temps vous poussez pour amener le poste de soudure à l’endroit qu’il faut.
Les types sont pas sociables, renfermés. C’est trop dur. On s’occupe de soi. On rêve, on pense à des choses qu’on a fait. Je reviens tout le temps à quand j’étais gosse et puis ce qu’on faisait, les frangins et moi. Les choses qu’on aime, c’est à ça qu’on revient toujours.
Des tas de fois, j’ai bossé depuis le moment que je commençais jusqu’à la pause, sans me rendre compte que je bossais. Quand vous rêvez, vous diminuez les risques d’accrochage avec le contremaître ou avec le voisin.
Ça s’arrête pas. Ça continue toujours et toujours et toujours. Je parie qu’il y a des hommes qui ont passé leur vie ici et qui ont jamais vu le bout de la chaîne. Et ils le verront jamais — il y en a pas. C’est comme un serpent. Rien que le corps, pas de queue. Ça peut vous faire des trucs... (Il rit.)
C’est tellement monotone que si on pensait vraiment au boulot, à la répétition, on deviendrait dingue, tout doucement. Si vous pensez à vos problèmes, ils s’accumulent et vous pourriez sauter à la gorge du type qui est à côté de vous. Chaque fois que le contremaître passe, vous auriez quelque chose à dire. Vous tapez sur n’importe quoi, ce que vous avez sous la main. Comme ça, vous vous occupez de vous, rien que de vous tout seul, vous évitez les ennuis.

Phil Stallings, soudeur à l’arc, décrit le travail à la chaîne chez Ford Chicago au début des années 1970

Wednesday, July 25, 2012

Le "Leonard de Vinci" des drogues

Alexander Shulgin est onsidéré comme le "Leonard de Vinci" des drogues par ses fans, ce dernier serait à l’origine de la diffusion de deux cent drogues synthétiques, dont la MDMA, molécule de l’ecstasy. Le succès commercial de l’insecticide Zectran, qu’il mit au point dans les années 1950, lui permit d’entreprendre librement des recherches sur les drogues psychédéliques, chez le géant américain Dow Chemical puis pour la DEA, les stups américains. "C’est donc avec la bénédiction du gouvernement fédéral américain qu’Alexander Shulgin allait inventer la pharmacopée psychédélique moderne." Nombre des drogues qu’il découvrit ou redécouvrit, comme la mescaline ou le LSD, servaient d’objets de recherche en psychothérapie avant de trouver leurs adeptes dans un cadre récréatif. Finalement lâchés par une DEA méfiante devant l’influence potentielle de leurs inventions, Shulgin et sa femme Ann, militants convaincus de la légalisation de toutes les drogues, consignèrent la plupart de leurs découvertes dans deux livres inclassables, PiHKAL, une histoire d’amour chimique et TiHKAL (Tryptamines I have Known and Loved. La DMT et la psilocybine des chamignons sont des tryptamines), parus en 1991 et 1997. On leur attribue l’extension à l’échelle mondiale des designer drugs, fabriqués à partir des formules présentées dans ces deux ouvrages. "Normalement, quand j’invente une molécule et qu’elle devient populaire, ils attendent environ quatre ans pour l’interdire", disait Alexander Shulgin au magazine Vice. Agé de 87 ans, il aurait mis fin à ses expériences !

Souriez, vous êtes drogués

Tuesday, July 17, 2012

Les livres en danger

Je n’ai aucune envie de parler de la littérature, de son importance, de ses valeurs. Ce que j’ai à l’esprit en ce moment, c’est une chose plus concrète : la bibliothèque. Ce mot donne, au prix que vous avez la bonté de m’accorder une étrange note nostalgique ; car il me semble que le temps qui, impitoyablement, poursuit sa marche, commence à mettre les livres en danger. C’est à cause de cette angoisse que, depuis plusieurs années déjà, j’ajoute à tous mes contrats, partout, une clause stipulant que mes romans ne peuvent être publiés que sous la forme traditionnelle du livre. Pour qu’on les lise uniquement sur papier, non sur un écran. Cela me fait penser à Heidegger, au fait apparemment paradoxal que, lors des pires années du XXème siècle, il se concentrait dans ses cours universitaires sur la question de la technique, pour constater que la technique, son évolution accélérée, est capable de changer l’essence même de la vie humaine.

Voici une image qui, de nos jours, est tout à fait banale : des gens marchent dans la rue, ils ne voient plus leur vis à vis, ils ne voient même plus les maisons autour d’eux, des fils leur pendent de l’oreille, ils gesticulent, ils crient, ils ne regardent personne et personne ne les regarde. Et je me demande : liront-ils encore des livres ? c’est possible, mais pour combien de temps encore ? Je n’en sais rien. Nous n’avons pas la capacité de connaître l’avenir. Sur l’avenir, on se trompe toujours, je le sais. Mais cela ne me débarrasse pas de l’angoisse, l’angoisse pour le livre tel que je le connais depuis mon enfance. Je veux que mes romans lui restent fidèles. Fidèles à la bibliothèque.

Milan Kundera, lors de la remise du prix de la BnF 2012 pour l’ensemble de son oeuvre

Wednesday, July 11, 2012

Fly

flybird

Wednesday, July 4, 2012

Sérieux du pèlerinage et frivolité du tourisme


Un visiteur assistant au Sri Lanka à des manifestations religieuses - le pèlerinage à Kataragama dans notre exemple - pourrait penser que la foi et la piété tendent à décliner dans ce pays. Dans ce lieu de dévotion, on est surpris par l'allure désinvolte de jeunes bouddhistes qui peut choquer les visiteurs non avertis (c'est aussi un sanctuaire saint pour les hindouistes). La fête et une certaine "débauche" sont présentes ; la sympathie manifestée envers le sexe opposé s'exprime franchement et des danses très suggestives sont effectuées sous l'oeil du badaud. Le Walkman rivalise avec les dernières trouvailles vestimentaires occidentales. On pourrait, a priori, qualifier ce phénomène de dégénérescence d'une pratique traditionnelle, qui se serait transmuée en recherche de plaisir et en divertissement sous des prétextes religieux. Au demeurant, cette situation caractérise aussi, à des degrés divers, d'autres pèlerinages tels que celui de Lourdes. (La Réforme a longtemps dénoncé ces pratiques dans lesquelles elle voyait des reliquats de paganisme.). 
Les journalistes sri lankais dénoncent eux aussi ces comportements qu'ils considèrent comme une dégradation et une déliquescence manifestes de la foi. Ils s'offusquent, reprenant à leur compte la connotation de frivolité évoquée par le terme de tourisme, et attribuent cette "déviance" au développement effréné du tourisme de masse dans leur pays. [...] 
Cependant, en changeant d'angle d'approche, on peut à juste titre inscrire ces faits dans une dynamique interne à la tradition du pèlerinage au Sri Lanka.  
Ces comportements, répréhensibles à première vue, prennent une tout autre signification dès qu'on les appréhende selon une perspective historique. En effet, les traditions de pèlerinage montrent, entre autres faits, qu'au-delà des innovations comportementales observées (Walkman, jeans et apparence occidentale) les jeunes Sri Lankais de confession bouddhiste ont repris à leur compte un style de pèlerinage hindouiste assez ancien, qu'ils actualisent et s'approprient à leur façon. [...] 
Le style de pèlerinage hindouiste, emprunté ainsi par les bouddhistes, est adressé à Murukan, dieu hindouiste, fils de Shiva, un dieu bien accommodant comme nous allons le voir. Ce dieu a la particularité de n'exiger de ses adeptes qu'une dévotion infaillible, les comportements profanes de ses adeptes, en termes de bien ou de mal, lui important peu. Il est perçu comme un père inconditionnellement aimant et prêt à tout pour ses enfants, quels que soient leurs mérites, pour peu qu'ils sentent en eux une foi sincère à son égard. Cette divinité assure de sa grâce toute personne, quels que soient sa caste, son sexe ou son origine, ou ses faits et méfaits, contredisant ainsi le système des castes hindouistes. Les jeunes Sri Lankais bouddhistes furent attirés par ce dieu aux qualités a-morales. Il est perçu comme violent, brutal, n'ayant aucun scrupule, rusé, et n'hésitant pas à se battre pour le bien dans ce monde impur de la modernité. Bref, il apparaît comme un allié sûr pour ces jeunes plongés dans l'incertitude de la vie moderne (chômage, absence de perspectives d'avenir, corruption et passe-droits divers - bref, le quotidien d'un pays du tiers-monde). Appelé Skanda par les bouddhistes ou Makaruna par les hindouistes, ce dieu incarne la modernité dans l'esprit des jeunes Sri Lankais, qui voient en lui un recours et une divinité fidèle qui les suit dans leurs pérégrinations au sein du monde actuel. Plus qu'un phénomène d'acculturation ou un rejet des traditions, que le tourisme provoquerait, ce pèlerinage donne l'exemple d'une continuité et d'une capacité d'intégration et de réinterprétation de la tradition en termes modernes [...]. 

Rachid Amirou

Révolution psychique engagée par la culture numérique

Les technologies numériques modifient enfin le fonctionnement psychique de plusieurs façons.
1. Tout d’abord, l’identité se démultiplie. Le Moi n’est plus la propriété privée d’un individu, mais une construction à chaque fois tributaire des interactions. Le psychisme humain est un dispositif d’interaction intériorisé qui se complète et se nuance sans cesse sous l’effet de nouvelles communications. A chaque moment, il en est de nos identités comme des vêtements dans notre garde-robe. Nous les essayons à la recherche de notre personnalité décidément insaisissable. Les identités multiples et les identifications flottantes définissent une nouvelle normalité dont la plasticité est la valeur ajoutée, tandis que l’ancienne norme du « moi fort intégré » est disqualifiée en psychorigidité. Quant à la pathologie, elle ne commence que quand ses identités échappent au sujet et qu’il devient incapable de différencier le dedans du dehors, l’intériorité de l’extériorité.
2. Ensuite, avec les technologies numériques, le clivage s’impose comme mécanisme défensif prévalent sur le refoulement. Sur Internet, en effet, aucun contenu n’est réprimé et tous sont accessibles instantanément par l’ouverture d’une « fenêtre » : c’est le système « windows ». Or cette logique correspond exactement à ce qui se passe lorsque, dans le clivage, nous sommes capable de penser à une chose, et aussitôt après de l’oublier comme si elle n’avait jamais existé. Du coup, les contraires peuvent y coexister sans s’exclure. Cela renforce le processus du clivage aux dépends du refoulement, avec des effets considérables sur l’éducation.
3. Enfin, Internet reproduit la caractéristique de notre mémoire qui est d’être un espace d’invention permanente dans lequel rien n’est daté de telle façon que le passé peut toujours être confondu avec le présent. Alors que la culture du livre fait une grande place à la succession et à la narration (avec un avant, un pendant, un après et un conditionnel), celle des écrans se déroule dans un éternel présent.

Serge Tisseron